Québec Solidaire a refusé de s’engager dans la lutte contre le racisme
Nora Loreto (traduit par Lucie Mayer)
Les événements de la fin de semaine dernière jettent le doute sur la capacité de Québec solidaire à bâtir un nouveau Québec indépendant et non raciste.
Lors de la réunion du Conseil national de la fin de semaine dernière, plus de 80% des délégués de Québec solidaire (QS) ont voté en faveur du blâme de son Collectif antiraciste décolonial (CAD).
Selon un rapport de 2021 du groupe de travail de QS sur l’antiracisme et l’anti-capacitisme, seulement 3,9% des membres de QS s’identifient comme racialisé.e.s. Cela, combiné au soutien au blâme exprimé publiquement par la présidente du parti et des deux porte-parole, signifie que le résultat n’est pas vraiment surprenant.
Il est certain que tout parti qui a une majorité écrasante de membres et de dirigeant.e.s blanc.he.s va se débattre avec le racisme. Mais la querelle entre l’exécutif national du parti et le CAD pointe vers un problème plus grave que celui de la représentation: sans une analyse antiraciste profonde et active, comment QS peut-il promettre un Québec indépendant qui ne soit pas seulement une réimpression coloniale de ce qui existe actuellement?
Afin de comprendre ce qu’il faut pour faire de l’antiracisme un principe fondamental et actif de QS, il est utile de voir comment les féministes ont placé le féminisme au centre du parti.
QS a été fondé en 2006 par un parti politique, l’Union des forces progressistes, et une organisation de justice citoyenne, Option Citoyenne (OC), ancrée dans le mouvement féministe. La présence d’activistes de l’OC dans QS depuis le tout début, et leur travail ultérieur pour construire le parti, a fait que le féminisme reste un principe central.
Mais ce n’est pas seulement un principe; il est actif et est conduit par les féministes elles-mêmes. Elles repoussent constamment le patriarcat au sein du parti et la direction de QS lutte contre le patriarcat au sein de la société québécoise. Tout cela est très naturel et facile, grâce aux années de lutte au sein du parti.
Pendant ce temps, les membres racialisé.e.s et les groupes militants n’ont pas de masse critique similaire pour définir comment le parti interagit avec la lutte contre le racisme. En conséquence, QS n’a pas vraiment un excellent bilan en matière de lutte contre le racisme.
Par exemple, il n’y a pas encore eu un seul communiqué de presse publié par le parti cette année qui se concentre spécifiquement sur le racisme. Même si nous vivons une pandémie qui a eu un impact violent sur les Québécois.es racialisé.e.s, le parti a à peine lié le racisme systémique à la propagation et à l’impact de la COVID-19.
À Québec, il n’y a pas eu de présence QS dans les initiatives de lutte contre le racisme, à part un soutien important de nos élu.e.s. En tant que force qui se targue d’être un parti de la rue et des urnes, le manque de campagnes et d’action politique contre le racisme pose un problème majeur. Ce travail doit être coordonné au niveau central pour aider à éduquer et à mobiliser les associations et les militant.e.s locaux.
Mais QS s’est particulièrement exposé plus tôt cette année. En mars, le professeur Amir Attaran de l’Université d’Ottawa a tweeté que le gouvernement du premier ministre du Québec, François Legault, est suprémaciste blanc et que des lynchages médicaux ont lieu dans la province.
Attaran était incendiaire, mais il avait également raison dans ce cas: il y a eu plusieurs cas très médiatisés de femmes racialisées qui ont perdu la vie dans des circonstances terribles dans les hôpitaux du Québec. Pendant ce temps, le gouvernement Legault a défendu la suprématie blanche et attaqué des groupes minoritaires au cours de son mandat. Legault nie même que le racisme systémique existe au Québec.
Plutôt que de décortiquer les propos d’Attaran, QS s’est aligné avec tous les autres partis à l’Assemblée nationale pour condamner ses propos comme étant québécophobes. Le CAD a condamné la réaction de QS sur les réseaux sociaux. QS a condamné la réaction du CAD en ligne. Le comportement des deux côtés l’un envers l’autre est devenu de plus en plus hostile.
Fin avril, l’exécutif national a proposé la motion de blâme du CAD pour son comportement. La motion accusait ces actions du CAD, ainsi qu’un autre commentaire sur les réseaux sociaux, d’être inacceptables et de violer les principes de QS. Les partisans de l’exécutif national ont fait valoir que le CAD est sectaire et polarisant. Les membres ont été massivement d’accord.
Si des femmes blanches mouraient dans des conditions terribles à l’hôpital et qu’un agitateur de Twitter accusait le Québec de féminicide médical, QS aurait-il agi de la même manière? Si Attaran avait qualifié Legault de porc sexiste qui permet effectivement aux femmes du Québec de mourir en ne répondant pas à une flambée de violence conjugale, QS se serait-il aligné avec d’autres partis pour condamner les propos avant de faire autre chose?
La réponse est évidente: le parti aurait utilisé les commentaires pour parler de patriarcat et de féminicide. Les féministes de QS ont toujours lié les problèmes sociaux au patriarcat.
Mais le racisme et le colonialisme sont bien en dehors de l’expérience et de l’expertise des dirigeant.e.s du parti. Et donc, QS répond mal, et peu ou pas d’action politique est entreprise pour intervenir de manière positive lorsque survient un problème critique.
Les victimes de faute professionnelle médicale raciste au Québec les plus médiatisées sont les femmes. La violence médicale est une question absolument féministe, et pourtant le parti s’est rallié aux propos d’Attaran plutôt que de demander justice pour ces femmes. Seul le CAD a relevé un problème sur la réponse de QS. Pour cela, ils ont été punis.
Le week-end dernier a été un coup dur pour la conviction de certains membres de QS que nous pouvons construire une nouvelle nation qui n’est ni raciste ni coloniale à partir de notre nation raciste et coloniale actuelle. Blâmer le CAD est une erreur, non seulement parce que cela montre une obstination au sein de la direction à comprendre le racisme systémique, mais parce qu’il rend impossible pour QS d’être une voix crédible sur le racisme.
Pour que l’antiracisme occupe une place similaire au féminisme dans QS, un changement radical dans la façon dont le parti aborde les questions sociales sera nécessaire. Cela exigera une lutte de pouvoir entre un exécutif national majoritairement blanc et des groupes antiracistes organisés, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du parti. Et surtout, il faudra une réflexion approfondie de la part des féministes blanches, qui ne comprennent pas leur rôle conflictuel d’oppressé et d’oppresseur, de s’ouvrir à la critique et faire de la place pour des perspectives qui remettent en question le statu quo du parti.
Nora Loreto est une écrivaine et militante basée à Québec. Elle est rédactrice en chef de l’Association canadienne des médias syndicaux.